VERNISSAGE : LE MERCREDI 10 MAI 2023 DE 17H30 à 20H30
Exposition : 11/05/2023 au 08/07/2023
58 rue Quincampoix, 75004 Paris
Dossier de presse
Livre / catalogue
QUELQUES EMPRUNTS D’ÂMES
Novembre 2022. Cela fait maintenant quatre fois que je me rends en Belgique, au sein du foyer de vie « CHRYSALIS ». Ce lieu accueille onze personnes handicapées mentales qui, comme des milliers d’autres, n’ont pas trouvé de refuge en France, soit par manque de structures d’accueil, soit à cause de leurs troubles du comportement.
Ce lieu, au sein duquel sont apaisées bien des détresses, est empreint d’une grande humanité. Il y règne un véritable esprit de famille, dans lequel je me sens bien.
Après avoir expliqué le sens de ma démarche aux éducateurs, toute l’équipe a adhéré à mon projet. Leur présence constante à mes côtés fut essentielle, notamment dans les moments délicats.
À chaque séjour, je restais deux semaines. J’étais en immersion totale. Du matin au soir, je déambulais avec les résidents. Je partageais leur vie quotidienne. Ma chambre, située non loin des leurs, me permettait de ne rater aucun petit moment de vie.
La communication ne fut pas aisée. La quasi-totalité d’entre eux n’ayant pas l’usage de la parole, j’ai dû me contenter de regards furtifs, de petits gestes de tendresse bien rassurants, mais aussi de moments de colère et d’agressivité.
Pour un photographe, vivre dans ce lieu, c’est comme entrer en religion. Cela demande une attention et une disponibilité permanentes. Ici on ne triche pas. Chaque photographie se mérite. Point de mitraillage intempestif, mais douceur et délicatesse. On ne vole pas l’image, on l’emprunte avec modestie. Il faut savoir se retirer et poser son appareil photo lorsque la situation s’envenime, rester libre dans sa tête pour saisir au vol un moment d’humanité, tenter de déchiffrer les codes pour entrer dans leur monde. Ne rien forcer. Bref, les aimer.
Ce mystère de la maladie mentale m’a bouleversé. Comment ces personnes hors normes s’approprient-elles ce lieu de vie ? Comment se manifestent leur souffrance, leur difficulté d’être ? Quelles relations entretiennent-elles avec l’équipe d’éducateurs, qui les accompagne dans leur douleur et leur enfermement ? Beaucoup de questions et bien peu de réponses.
Cette famille, je vous la donne à voir, à regarder, à considérer, à ressentir. Je vous la présente comme dans une pièce de théâtre. En voici les acteurs : Stéphanie, Joël, Mario, Chantal, Patrick, Sandra, Monique, Willy, Lily, Jordan et Vincent. Ils vont évoluer devant vous, au gré de leurs humeurs et de leurs angoisses.
Chacun d’eux vit dans un monde dont personne n’a les clefs, un univers incompréhensible, imprévisible et chaotique. Ils déambulent dans leur labyrinthe intime. Parfois, ils sont sereins et apaisés. Moment magique, leur visage s’irradie, ils semblent heureux, l’espace d’un instant.
Jean-Louis Courtinat
UNE ALTERNATIVE À LA PSYCHIATRIE ?
Rien ne me destinait à m’occuper de personnes handicapées mentales. Un jour, je rencontre une femme âgée qui vit seule avec sa fille de 42 ans, atteinte de débilité profonde. Cette maman est désespérée car elle ne trouve aucune structure susceptible de prendre en charge sa fille. Que deviendra-t-elle lorsque sa mère décèdera ?
Ce type de situation n’est malheureusement pas rare.
Je me suis donc lancé un défi : créer un petit espace de vie, afin d’y accueillir des personnes handicapées mentales qui ne trouvent aucun lieu pour vivre.
En 2002, j’ai créé l’association CHRYSALIS située près de Bruxelles. Au début, nous prenions en charge des malades venant de Belgique. En 2004, nous avons été contactés par des familles et des associations d’autistes françaises qui ne trouvaient aucune structure adaptée pour leur enfant et qui refusaient le placement en isolement à l’hôpital psychiatrique.
Stéphanie est la première femme que nous ayons accueillie. Elle a vécu durant six ans dans une chambre d’isolement d’un hôpital près de Paris. Stéphanie est très lourdement handicapée. Elle marche difficilement et ne parle pas. Elle s’est malgré tout parfaitement intégrée au sein de notre structure.
Mario, autiste, fut le deuxième à être admis dans notre centre en septembre 2004. Rejeté par toutes les structures car trop violent, ses parents étaient désespérés. Aujourd’hui, Mario ne présente plus aucun signe d’agressivité. Il vit dans un monde qui lui est propre.
Sandra était en cellule d’isolement en France depuis neuf ans. Atteinte de schizophrénie, on lui avait retiré toutes ses dents afin qu’elle ne morde pas les patients. Nous l’avons prise en charge en juillet 2005. Sandra est en souffrance permanente. Elle manifeste sa douleur par des crises de violence envers les autres. Sa maman l’a reniée et ne veut plus entendre parler d’elle.
Puis vinrent Chantal, Joël, Monique et Patrick après avoir vécu pendant 20 ans dans un hôpital psychiatrique. Joël a 69 ans. Éternel angoissé, il est devenu la mascotte des éducateurs. Chantal, très séductrice, manifeste parfois de la violence envers les autres résidents. Monique est une dépressive chronique et Patrick, schizophrène, est imprévisible dans ses actes de la vie quotidienne.
Willy nous a été confié par une structure située à Ville Evrard près de Paris. De sa vie, il n’a connu que placements en psychiatrie et violences corporelles. À son arrivée, son visage n’était que souffrance et désespoir.
Lily, réfugiée vietnamienne en France, où elle a séjourné à l’hôpital psychiatrique d’Aulnay-sous-Bois. Pyromane et fugueuse, ne parlant pas le français, elle s’est parfaitement intégrée à l’ambiance d’ouverture et d’affection de notre maison.
Enfin, Jordan et Vincent nous ont été confiés par leurs parents respectifs qui n’ont pas réussi à trouver un lieu d’accueil en France. Ni l’un ni l’autre n’a accès à la parole. Jordan a beaucoup de difficultés à canaliser une énergie débordante et Vincent, autiste, se balade en permanence au sein de l’institution.
Notre but est de pratiquer la psychothérapie institutionnelle dans une entité n’excédant pas dix à quatorze patients. Ils évoluent dans une ambiance familiale qui les apaise et diminue leur souffrance.
À Chrysalis, les résidents sont chez eux. Ils circulent librement et prennent les repas en commun. Leurs différentes pathologies favorisent le vivre-ensemble et renforcent l’esprit de groupe. Le contact avec la nature et les activités extérieures permettent d’atténuer leurs angoisses.
Pour autant, ce n’est pas simple tous les jours. Tous sont en demande d’affection permanente. Il arrive que Chantal soit envahie par ses vieux démons et se mette à délirer, que Sandra ait une crise de panique ou que Patrick sombre dans la démence.
C’est à ce stade que la relation entre les éducateurs et nos résidents est primordiale. Eux seuls sont capables d’évaluer la situation et, par la discussion, de les calmer et de leur redonner un peu de sérénité. Le malade est accepté avec son passé, sa souffrance et ses angoisses. Au fil du temps, il se construit une histoire personnelle et positive, à laquelle il peut s’identifier et qui lui permet de retrouver la confiance en soi et la reconnaissance.
La plupart des résidents ont peu ou pas de contacts avec leur famille. Nous le regrettons beaucoup. Idéalement, nous souhaiterions avoir des échanges réguliers, afin qu’ils nous aident dans notre approche et dans l’évolution de leur enfant. Chaque situation familiale étant particulière, nous respectons leur choix.
Chaque jour, je me demande quel est l’avenir de notre structure. François Tosquelles, Jean Oury, Fernand Deligny et Michel Hock furent les précurseurs de ce mouvement original baptisé psychothérapie institutionnelle.
Aujourd’hui, cette pratique est dénoncée par la Haute Autorité de santé en matière d’autisme, comme étant une pratique non consensuelle, donc non recommandable, à l’instar de la psychanalyse.
Pouvoir continuer à offrir à ces êtres exclus de notre société un cadre familial et humain dans lequel ils se sentent heureux et en sécurité, tel est mon souhait le plus cher.
Edith Allaert Bertin