PEPA HRISTOVA
Editeur : F.C GUNDLACH
Année de parution : 2013
“Où il n’y pas de fils, il n’y a pas de futur.”Tel est le sentiment prédominant dans les « monts maudits » d’Albanie (Prokletije), que l’on pourrait retrouver à l’identique dans de nombreuses cultures à travers le monde, depuis la nuit des temps. Il est ironique de constater que jusqu’en 1920, un tiers de la population mâle de ce pays mourait dans des vendettas. Comme dit la bible, « l’orgueil précède la chute ».Pour la sensibilité occidentale, l’exaltation du masculin est à la fois familière et étrangère. Elle nous rappelle pourtant que l’engagement pour les droits des femmes est assez récent dans l’histoire de l’Humanité. Elle nous rappelle aussi que dans beaucoup d’endroits, être une femme peut facilement devenir un cauchemar permanent. Nous oublions trop souvent cette réalité, avant qu’on ne nous la remette en mémoire, pas nécessairement en nous dressant des portraits crus des pratiques des trafiquants d’êtres humains, mais en explorant la nature des normes sociales. Parmi celles qui doivent s’adapter à leur sort, on trouve les femmes des « montagnes maudites » : les Virgjineshtë, les « vierges par serment ».C’est ici dans ces montagnes, dont il est dit qu’elles ont été créées par le diable lui-même, que le Kanun, un ensemble de lois datant du Moyen-Âge, a été transmis oralement pendant des générations, permettant aux familles de remplacer l’homme de la maison par une femme dans les cas où le patriarche venait à mourir. Dans d’autres cas, les nouvelles nées sont déclarées des garçons et élevées comme tels pour fournir à la famille un héritier mâle. En prenant cette position, la femme doit prêter le serment de préserver sa virginité pour le reste de sa vie, et de vivre, s’habiller, et travailler comme un homme dans un sens social plutôt que sexuel. À mesure que le temps passe, elles s’adaptent à leur rôle tellement parfaitement que toute leur féminité finit par disparaître. Et elle gagne en retour la puissance et le prestige masculins.Dans Sworn Virgins (Kehrer Verlag), la photographe Pepa Hristova nous présente treize vierges, âgées de 30 à 86 ans. Chacune a droit à un chapitre qui s’ouvre sur un insert de journal rose, comprenant une citation et une petite sélection de photographies personnelles en noir et blanc. Nous pouvons découvrir la vie des Virgjineshtë telle qu’elle est vécue depuis des générations. Avec ses portraits, Hristova médite sur l’existence de ce mode de vie si particulier. Dans plusieurs de ces chapitres, on trouve un volet dépliant, comprenant une série de trois instantanés candides qui révèlent le langage corporel des Virgjineshtë, offrant une interprétation très convaincante d’une forme de masculinité.On dit que le genre est une représentation, mais avec ces photographies nous pouvons comprendre que cela s’applique également à la construction de l’identité elle-même. Quand certaines Virgjineshtës vivent complètement comme des hommes, d’autres gardent les attributs de leur forme originale, de leurs noms aux pronoms les décrivant comme des femmes. Elles n’essayent pas de passer pour des hommes mais investissent un royaume totalement nouveau.Shkurtan, 76 ans, nous informe qu’elle a décidé de devenir un homme à l’âge de six ans, pour pouvoir soigner les animaux et avoir la liberté d’aller où elle le voulait. Le livre fait le récit du jour que Shkurtan a passé en compagnie de Hristova, qui explique : « Les gens peuvent faire des choses stupides à cause d’une femme, et mettre leurs vies en péril. Tellement d’hommes capables ont fini ainsi par rater leurs destins ». Le texte continue en affirmant que « [Shkurtan], par contraste, a travaillé pour obtenir un poste élevé dans l’usine où elle travaille ; le Parti l’a envoyée à Tirana pour la former. Le fait qu’elle soit différente des autres n’a pas du tout constitué un désavantage. Au contraire, depuis qu’elle n’a plus à s’inquiéter de sa famille, elle peut se concentrer sur son travail. »Il apparaît effectivement que le fait de naître femme et d’être faite homme comporte des avantages qui ne sont accessibles à personne d’autre. C’est dans le sacrifice que les Virgjineshtë trouvent leur récompense. Elles sont honorées et respectées comme des hommes, peuvent vivre comme elles le désirent, libérées des limitations et de la disgrâce d’être nées femmes dans un culture qui exalte la forme masculine.
Lettre d’information
75004 Paris – France
+33 (0)1 42 74 26 36
ouverture du mercredi au samedi
de 13h30 à 18h30. Entrée libre
M° Rambuteau – Les Halles
Pour Que l’Esprit Vive
Association loi 1901 reconnue d’utilité publique
Siège social :
20 rue Lalande
75014 Paris – France
T. 33(0)1 81 80 03 66
www.pqev.org
20 rue Lalande
75014 Paris – France
T. 33(0)1 81 80 03 66
www.pqev.org