The Untold Stories from Iraq
Michael KAMBER
Editeur : Editions University of Texas Press
Année de parution : 2013
La guerre d’Irak restera comme celle d’une transition durable vers un nouveau paradigme diplomatique, médiatique et esthétique. C’est à la fois la première et, comme le suggère Dexter Filkins dans son introduction de Photographers on War, la dernière de son genre. Michael Kamber est l’un des témoins de ce conflit où les chiffres de la cruauté ont fini par ne plus compter : « Quand on est dans une situation ou dix voitures piégées explosent chaque jour pendant huit ans, au bout d’un moment ce n’est plus qu’un attentat parmi d’autres. C’est un défi de continuer à traduire ce drame quotidien, surtout dans une guerre qui se combat à distance et dont on ne capture au mieux que les conséquences, les réactions. » De 2003 à 2012, il a visuellement rendu compte de cette réalité pour le New York Times, essayant de trouver un sens à cette impasse qu’il décrit comme « l’incompétence criminelle du gouvernement américain » : « Les Etats-Unis ont pris un pays sans aucun plan pour l’après-chute du régime. Ils n’ont pas déployé la force de sécurité nécessaire pour éviter les pillages. C’était incroyable, tout a été détruit : l’eau, l’électricité, tout. Ca a posé les bases de tout ce qu’il s’est passé par la suite. »Dans un livre de 300 pages, il donne la parole à ses collègues Américains, Européens et Arabes qui racontent cette histoire indénouable à travers leurs images et mots déliés. « Ce livre est une façon de régler nos comptes avec cette guerre, d’expier nos péchés, de nous confesser », explique-t-il. Les points de vue se mêlent, amers, nostalgiques, troublés, engagés, libérés de la censure qui faisait le quotidien de leur travail sur le terrain. « Il y a des limitations incroyables sur place. Tu te déplaces dans un véhicule avec des vitres épaisses de 20 cm. Si tu essaies de prendre des photos dans la rue tu es exposé. Si tu essaies de travailler avec des civils tu mets leur vie en danger. Les hôpitaux sont inaccessibles, les zones de combats aussi, les Iraquiens ne te laissent pas prendre d’images après un attentat. Il n’y a pas d’explication possible. Tu as des milices partout, les gens crient, hurlent, s’agitent, courent dans ta direction en pointant leurs fusils. Tu n’as pas le temps de négocier, tu cours. Les gens sont effrayés, suspicieux, furieux. La raison a disparu du paysage moral. »A cela s’ajoute l’interdiction par le Pentagone de photographier des soldats américains blessés ou morts. Si certains commandants d’unités déployées sur place fermaient les yeux, convaincus que cette histoire devait être racontée, publier de telles images aurait coûté aux photographes leur autorisation d’accompagner l’armée dans ses différentes missions. Or c’est une guerre sans nuance, manichéenne, qui oppose l’Est à l’Ouest, où le journaliste n’est plus considéré comme un rapporteur indépendant mais comme un ennemi. La liberté de mouvement est limitée, faisant de chaque déplacement un investissement psychologique et financier énorme. Tous ont effleuré la mort. Certains n’y ont pas échappé. Chaque mouvement nécessite une équipe de sécurité, un traducteur, un ou plusieurs véhicules. Une contrainte majeure en pleine mutation du journalisme : « La nature du journalisme a changé au cours de cette guerre avec l’implosion des médias américains, l’expansion d’Internet et des blogs, la disparition des grands titres de presse. Quasiment aucun média n’a les moyens de payer pour ce type de reportage. »Malgré les contraintes physiques, économiques et éthiques, tous les photographes réunis dans cet ouvrage se sont battus pour éveiller une prise de conscience publique et constituer les archives de l’Histoire. L’époque qui a vu le soulèvement d’une audience activiste contre la guerre du Vietnam est révolue. Apolitisation croissante du public, impuissance face a l’incohérence de la situation et difficulté de documenter ont entrainé un désintérêt général pour cette guerre sans issue. Pourtant, les photographies qui jalonnent ce livre rappellent la capacité unique de l’image fixe à capturer le chaos de l’histoire et à le faire connaître. Elles donnent une réalité palpable à des événements que les faits traduisent sous la forme de lettres et de chiffres abstraits. Associées aux souvenirs vibrants de leurs auteurs, elles aident à comprendre une époque révolue et à mettre en perspective la situation contemporaine, créant un contexte au sein duquel le changement redevient une possibilité, voire une obligation.Laurence Cornet
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