COREE DU NORD : L'ENVERS DU DECORS

Adrien GOLINELLI


Editeur : EDITIONS DE LA MARTINIERE
Année de parution : 2013


«C’est la fermeture extrême du pays, le peu d’information qui filtre, qui m’ont poussé à y aller». Adrien Golinelli voulait voir par lui-même à quoi ressemblait la Corée du Nord. Ce pays, considéré comme le plus fermé du monde, dont on connaît surtout les images que le régime communiste veut bien montrer. Pendant deux semaines, ce jeune photographe suisse s’est donc immiscé dans un groupe d’une douzaine de touristes triés sur le volet par les autorités, pour sillonner le pays «d’une côte à l’autre, allant d’usine en orphelinat, de kolkhoze en université en passant par les bungalows de villégiature officielle». Un reportage qui lui a valu de remporteren 2012 le prix SFR Paris Photo récompensant les jeunes talents… et dont il a fait un ouvrage: Corée du Nord. L’envers du décor (éditions de La Martinière). À travers des clichés aux ambiances surannées, l’artiste – qui travaille à l’argentique – offre sa vision de la Corée du Nord, mélancolique, sans dramatisation. Des images qu’il a prises sous l’œil attentif des guides touristiques de ce voyage organisé, mais aussi d’un espion nord-coréen, déguisé en voyageur. «Il s’était présenté comme un touriste sud-coréen habitant aux États-Unis et se nommant James, mais les guides l’appelaient “Mister Lee ». «Il savait beaucoup trop de choses sur le pays, et nous posait parfois des questions étranges, du genre: “pourquoi prends-tu cela en photo?”».
En vrac, Adrien Golinelli décrit un pays densément peuplé, une capitale plus moderne qu’il ne l’avait imaginé. Des villes extrêmement propres, où tout est bien rangé, et où l’on ne voit absolument aucune publicité… mais où la propagande est à chaque coin de rues. Cette propagande, Adrien Golinelli n’y échappe pas ; mais il suffit de «gratter un peu le vernis» pour entrevoir une réalité bien différente. «On nous présente un village modèle, une usine censée être à la pointe de la technologie. Mais les failles sont flagrandes: l’usine semble délabrée, il reste des bouts de machines par terre, et seuls les tableaux de propagande accrochés au mur sont neufs», décrit le photographe.
Lors de son programme réglé à la minute près par le régime, les temps morts sont rares mais «il y a forcément des moments où l’organisation se fissure». Et c’est au cours de ces rares moments de flottement, qu’il parvient à aborder des gens dans la rue. Et contrairement à ce à quoi il s’attend, ceux-ci ne sont «ni effrayé de lui parler, ni avide d’information sur le monde extérieur. Je m’attendais à de la méfiance ou à de l’envie». Lors de ces contacts, point de critique acerbe du régime, bien entendu. Mais le photographe perçoit tout de même «de l’ironie, un humour acide. J’ai surtout senti les gens résignés, concentrés sur leur survie.»
Ce qui le frappe le plus? «Étrangement, la normalité». Loin des images de défilés militaires menaçants, de celles de hordes de Nord-Coréens se lamentant à la mort de Kim Jong-il, loin aussi de la pauvreté extrême – bien existante mais à laquelle le photographe n’a pas pu accéder – «c’est l’entre-deux qui m’a le plus marqué. Celui qui n’intéresse pas les journaux occidentaux car il n’a rien de spectaculaire.»