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VIVRE AVEC TOIT
Jean-Louis COURTINAT

Exposition : 16/01/2013 au 23/02/2013
Du mercredi au samedi de 13h30 à 18h30

Galerie FAIT & CAUSE
58 rue Quincampoix, 75004 Paris - Tél. +33 (0)142742636

Pendant deux années, j’ai vécu auprès d’hommes et de femmes qui venaient de retrouver un toit après avoir vécu très longtemps dans la rue.
Comment appréhendaient-ils leur nouvelle vie ? Comment se reconstruisaient-ils ?
Quel était leur quotidien ?
C’est ce que je voulais savoir. Je me suis vite aperçu des limites de la photographie.
Tous exprimaient leur soulagement d’avoir un logement, la difficulté de réapprendre à vivre dans un espace réduit, leur incapacité à se prendre en charge au quotidien.
Ces sentiments étaient intraduisibles en photographie. J’ai donc pris un petit carnet dans lequel j’ai inscrit méticuleusement leurs propos. J’ai respecté leur style, leur façon de s’exprimer, leurs non-dits, leurs erreurs et leurs contradictions. Pas d’interview brutale, mais une succession de petites réflexions intimes qu’ils m’ont confiées au fil du temps.
Toutes les personnes que j’ai suivies ont plus de cinquante ans. Elles ont toutes connu une enfance difficile. La plupart ont rejeté leur famille ou été rejetées par elle. Beaucoup sont fatiguées, malades, dépressives, en cours de soins ou sous dépendance chimique. La plupart se sentent inutiles au monde, se replient sur elles ou se retirent de la vie sociale. Certaines expriment leur solitude, leur souffrance, leur impossibilité d’échanger, de discuter, de partager leurs émotions. Beaucoup ont un sentiment de culpabilité et se sentent responsables de leur exclusion. Toutes vivent des minima sociaux. Plusieurs ont de toutes petites retraites. Nombre d’entre elles ont de graves problèmes de dépendance à l’alcool.
Avoir un toit même si ce n’est qu’un taudis est primordial pour elles. Toutes m’ont parlé du désir de se poser, d’avoir une adresse, un lit, des clefs, une boîte aux lettres, bref d’être reconnues malgré leur pauvreté.
Le plus difficile pour moi fut de suivre plusieurs personnes en même temps. Il m’a fallu une organisation très précise pour conserver une pression sur elles sans jamais les gêner dans leur quotidien. J’ai dû composer avec les rendez-vous manqués, les changements d’adresse, les hospitalisations, les retours à la rue et les ruses pour éviter les marchands de sommeil ulcérés par ma présence.
J’avais élu mon quartier général à « l’Etape », lieu de vie des petits frères des Pauvres qui accueillent des personnes dans la précarité. J’arrivais pour le petit-déjeuner, je discutais avec les gens, je leur parlais de mon projet. Beaucoup ont refusé. Peur de se montrer, de parler ou d’être reconnu par leur famille. Il m’a fallu énormément de temps, d’écoute et de proximité pour gagner leur confiance. Au début je leur donnais des photographies. J’ai vite renoncé car je leur offrais une image d’eux qu’ils refusaient de voir. Finalement j’ai fait peu de photos. On se rencontrait régulièrement. On prenait un café, on discutait. Je me sentais plus bénévole que photographe et cela me plaisait.
Aujourd’hui et comme à chaque fois que je termine un long travail, je me demande si ce que j’ai enregistré est aussi riche que ce que j’ai vécu. Ai-je été à la hauteur de la confiance qu’ils m’ont donnée ? Ai-je saisi l’essentiel ? Le cœur du propos se trouve-t-il d’ailleurs dans ce qui est montré ou dans ce qui ne l’est pas ? Je sais qu’il faut beaucoup plus que des photos pour que ces êtres fragiles ne portent plus le fardeau des préjugés et des tabous qui les livrent à l’oubli de tous.
Makou, Ginette, Daniel, Max, Patrick et vous tous avec qui j’ai passé ces moments forts, ce travail est aussi le vôtre. Puissent vos textes et mes images provoquer chez ceux qui les verront de la compassion et le simple désir de mieux vous connaître. C’est mon vœu le plus cher.Jean-Louis Courtinat