Archive


LES NOIRES VALLÉES DU REPENTIR
André MARTIN

Exposition : 25/01/2001 au 31/03/2001
Du mercredi au samedi de 13h30 à 18h30

Galerie FAIT & CAUSE
58 rue Quincampoix, 75004 Paris - Tél. +33 (0)142742636

Dossier de presse
Livre / catalogue

L’Histoire de l’Italie du Sud est une succession d’invasions et de dominations étrangères : les Grecs y séjournèrent six siècles, l’Empire romain s’effrita devant la poussée des Goths et des Byzantins qui conservèrent les territoires du Sud malgré les raids musulmans. Aux 11e et 12e siècles, les Normands instaurèrent un régime féodal qui laissa ses marques dans la culture sicilienne. Les dynasties allemande, angevine, aragonaise et autrichienne établirent leur domination dans une atmosphère de luttes de vassaux et de révoltes sous les Bourbons et les Bonapartistes, les soulèvements libéraux et les formations de sociétés secrètes contre l’occupation française divisèrent le pays. Garibaldi s’empara avec ses Mille du royaume des Deux-Siciles, la chute de l’Empire français et la dislocation des Etats papaux permirent de faire la jonction avec le Nord.

L’unité italienne fut achevée en 1870, mais le séparatisme entre le Nord et le Sud levait des controverses parmi les meridionalistes qui dénonçaient la politique économique des nordistes qu’ils rendaient coupables de l’appauvrissement du Sud. Les réformes agraires échouèrent, malgré les tentatives de la République, la pauvreté du sol, la rudesse du climat, les difficultés de communications dans des régions isolées et montagneuses du Mezzogiorno ne facilitèrent pas l’élaboration de solutions. L’intérieur de la péninsule, dénudé et austère, ne connut pas l’industrialisation, les capitaux utilisés pour tenter de lancer une industrie dans le Sud étaient en majorité des capitaux du Nord, et les riches propriétaires sudistes n’investissaient guère leur argent sur place.

L’immobilisme du Sud, état permanent de la classe défavorisée comme de la majorité des classes supérieures, explique le manque d’une classe méridionale dirigeante et consciente des problèmes de l’Italie du Sud. Le Mezzogiorno, longtemps considéré comme une colonie du Nord, restait isolé géographiquement et culturellement, l’insularité de la Sicile et son héritage historique la tenaient à l’écart des bouleversements des temps modernes. Les difficultés d’exploitation et les faibles rendements agricoles maintenaient le Sud dans la misère, la sécheresse estivale suivie de pluies torrentielles provoquant des érosions dénudaient les collines, effritaient les champs, fissuraient les maisons et emportaient les routes. Le gaspillage était le fléau du Sud : gaspillage des forces de l’homme, des capitaux mal utilisés, de l’eau mal endiguée, et des ressources naturelles laissées en friche. La Mafia, état dans l’Etat, invisible et puissante, à la solde du parti politique conservateur dominant, pénétra les structures politiques et sociales, exerça sa pression à tous les niveaux par le chantage et le crime. La loi du silence des Siciliens favorisa la Mafia au service d’un ordre traditionnel dont elle profita, et contre toute forme d’émancipation qui supprimerait ses privilèges. Au cours des siècles, banditisme et mysticisme évoluèrent dans le même sens que la misère.

Fatalité du sort, oppression et catastrophes naturelles étaient acceptées par les paysans comme une malédiction qu’ils ne savaient conjurer, préférant se tourner vers les forces surnaturelles et la magie pour y remédier. Pays coincé entre  » l’eau salée et l’eau bénite « , le Mezzogiorno conservait les formes de mysticisme que le Moyen-Age avait connues. Toujours avides d’échapper aux contingences terrestres, les paysans partaient en quête de leur salut faire des pèlerinages qui intensifiaient la rencontre des divinités et de l’être humain. Les pèlerins se libéraient de leurs tensions et de leurs angoisses dans des sanctuaires où ils imploraient des forces surnaturelles, qu’ils considéraient comme le seul remède à leurs maux physiques et à leurs conflits inconscients. Ils trouvaient dans la participation au sacré une compensation à leurs malheurs, débordant d’un élan d’amour qui se voulait salvateur, mais n’était que l’expression de leur peur devant l’incertitude de leur sort de paysans miséreux.

Les espaces sacrés jadis réservés aux cultes antiques gardèrent aux yeux des habitants leur potentialité sacrée ; l’Eglise catholique, en christianisant les lieux où avaient été découvertes des statues de divinités antiques, en fit des lieux de culte où l’homme puisait la force accordée par le dieu ou le saint qui l’habitait. Les saints chrétiens martyrs remplacèrent les dieux païens, Marie prit la place de Déméter et de Cérès sur les collines arides de la Lucanie et de la Calabre.

Habitant d’un pays naturellement pauvre, n’ayant pas été touché par les grands courants de la pensée européenne, le paysan du Sud, fidèle au passé, manifeste une prédilection pour les fêtes religieuses où se mêle le profane, qui lui permettent de rompre avec la monotonie et l’angoisse de la vie. Le sentiment de puissance qui se dégage du sacré le rassure, l’image de la Vierge ou du saint intercédant auprès de Dieu lui garantit la sollicitude de l’être adoré qui peut tout pour lui qui ne peut rien.

Michelle Caroly