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AUX MARCHES DE LA CHINE
Wu JIALIN

Exposition : 17/11/2006 au 03/02/2007
Du mercredi au samedi de 13h30 à 18h30

Galerie FAIT & CAUSE
58 rue Quincampoix, 75004 Paris - Tél. +33 (0)142742636

Livre / catalogue

Wu JIALIN
Notre première rencontre, il y a bientôt dix ans, fut pour moi une première surprise, belle et silencieuse. Il entra dans ma chambre sans prononcer un mot. Il étala sur mon lit des petites photos légères comme des plumes. Émerveillé, je fis un choix. Il ramassa les photos avant qu’elles ne s’envolent et s’en alla aussi courtoisement qu’il était entré.
Sans langue commune, dès ce jour, nos échanges, toujours silencieux, restèrent intenses. L’œil, le plaisir de l’œil remplaçaient les paroles. Et aujourd’hui, cette préface devrait se limiter à une seule phrase :
“Regardez lentement, longuement les photos de ce livre, vous trouverez là une recette pour l’amour et le bonheur.” Les photographes que j’aime sont des collectionneurs de bonheur. Et la collection sous vos yeux est particulière, gardez-la précieusement.
Dans ces images vous ne trouverez ni laideur ni monstres, ni violences ni  photos choc qui font vendre les magazines. Mais souvent des surprises, de l’humour et même du surréalisme. Son ¦il décèle ces surprises dans la réalité, dans la vie. Il ne met pas en scène. Il ne fabrique pas ses images. Il ne triche pas.
Comme les vrais artistes Wu ne prétend pas en être un. Il ne parle pas d’art ou de  création. Pourtant il a un style bien à lui. C’est là le signe de l’artiste. Il met sans cesse un acharnement dans son travail pour photographier toujours plus, toujours mieux. Il est un passionné,  un solitaire, farouchement indépendant.
Il y a vingt ans, il a dit sa honte d’avoir eu à faire sourire, pour la photo, des gens tristes et malheureux, et des analphabètes un livre à la main. Il n’aime pas la photo de propagande.
Il aime son pays, il aime sa province et surtout les montagnards du Yunnan. Il connaît leur pauvreté. Il montre leur dignité. Pour lui, où qu’il soit, respecter ceux et celles qu’il photographie est aussi important que d’obtenir une bonne photo. Les montagnards le ressentent ainsi.  En retour, ils aiment Wu, on le sent sur ses photos.
Il aime les gens, les enfants comme leurs grands-mères. Il se mêle à eux comme s’il faisait partie d’une même et grande famille. Il aime surtout les animaux, presque omniprésents dans ses photographies comme si, sans eux, notre monde serait incomplet, privé d’une part de sa beauté, de sa  bonté.
Wu ne prend pas les animaux « de haut ». Il se met à leur niveau, à trente ou quarante centimètres du sol souvent, prêt à les comprendre et on voit bien qu’il préfère les plus humbles, le petit cheval harassé par sa charge, les chiens bâtards, les cochons méprisés en occident et ici, dans son objectif, malicieux et vifs avec leurs nez  retroussés et leur regard coquin.
Regardez ces trois porcs qui font la sieste dans la cour délabrée d’une ferme. Toute l’innocence du monde est là dans ces deux groins tendrement appuyés l’un sur l’autre et ce troisième cochon, abandonné à son sommeil, confiant, ignorant, heureux et poignant.
Wu surprend les animaux dans leur silence, bouches closes, calmes, souvent même immobiles. Ses bêtes se contentent de vivre, occupant avec naturel un espace qui leur revient, un espace qu’ils partagent souvent avec les petits enfants silencieux eux aussi.
Les photos de Wu sont une halte dans un monde soudain débarrassé de ses bruits inutiles, de son agitation, de ses gadgets, un monde où un homme marche à côté de son cheval pour le protéger de la pluie, où la grange la plus misérable devient un havre d’harmonie grâce à ce buffle paisible qui respire tranquille, si tranquille dans l’encadrement de la porte.
Wu a le courage d’aller à contre-courant, le courage de déplaire en refusant les tentations faciles et les modes passagères. Mais il connaît le monde. Il a vu les musées et les galeries de New York et de Paris, de Houston et de San Francisco. Ses photos y on été exposées.
Sa culture photographique est large. Il sait où puiser des influences enrichissantes et solides. Mais il revient à ses sources, à son port d’attache, près de ses racines et de sa famille qui est sacrée pour lui.
Wu connaît l’impact de l’environnement sur l’homme. Les grands peintres chinois comme Shi Tao l’ont dit : en peignant la nature on comprend mieux l’homme qui y vit depuis des siècles. Wu a aussi compris pourquoi les montagnards sont courageux et volontaires.
Pour que leur récolte soit bonne, les paysans montagnards ne connaissent de repos que pour dormir. Wu leur ressemble et sa moisson photographique sera bonne.
En observant Wu marcher, regarder, photographier, on réalise que c’est l’image devant lui qui déclenche une émotion, une pulsion, et c’est en quelque sorte l’image qui le « prend » et non pas lui qui prend la photo.
Ses images sont riches d’éléments qui se composent dans une architecture apparemment naturelle tout en étant subtile. On y remarque souvent des carrés comme chez son compatriote et architecte I.M.Pei. Et devant un ami retrouvé ou devant une photo qu’il aime, sa sensibilité éclate soudain. Il laisse alors échapper son émotion par un regard intense, une vibration des mains et de tout son corps.
Les paysans du Yunnan en se rendant à pied au marché, à la chasse ou aux champs suivent le même parcours depuis des années et des siècles.
Ils impriment ainsi sur le sol une trace qui devient un sentier, puis un chemin et parfois une route. Sans le savoir, leurs pieds ont dessiné une route meilleure que celle des ingénieurs d’aujourd’hui.
Comme ces paysans, Wu laissera aussi sans le savoir, une trace qui s’élargira au fil du temps. Celle d’un humaniste d’avant-garde.
Marc RIBOUD