Être utile. Je ne crois pas chercher autre chose dans mon métier de photographe. J’ai toujours été là où je pensais que ma présence pourrait servir à quelque chose, convaincu que les images que je rapportais étaient au service de ceux qui m’avaient permis de les faire.
Je suis parti en Roumanie chargé des mêmes intentions mais, pour la première fois, j’ai rencontré les limites de mon engagement de photographe. Je me suis trouvé devant une tragédie qui me dépassait et dans laquelle je ne servais à rien.
Je n’oublierai jamais ces petits en guenilles, qui s’accrochaient à moi, ceux qui hurlaient de douleur enchaînés à leur lit, ceux qui se réfugiaient dans les toilettes pour ne pas être battus.
Je n’oublierai jamais non plus les mères exténuées détruites par les grossesses et les avortements, résignées au malheur absolu.
Je me suis continuellement demandé où était ma place dans cette horreur organisée.
Impuissant à apporter la moindre réponse, je suis resté pour finir mon travail sans doute parce qu’abandonner aurait été une plus grande trahison encore.

Jean-Louis Courtinat