MAGIC PARTY PLACE

C J CLARKE


Editeur : KEHRER VERLAG
Année de parution : 2016


Trois mois après le vote des Britanniques en faveur du Brexit, alors que leur ministre des affaires étrangères Boris Johnson annonce vouloir débuter les négociations de sortie de l’Union européenne début 2017 et que les discussions s’enveniment autour de l’immigration, la notion d’identité est au cœur des fractures européennes.
« Au moment où j’écris se profile le référendum du Royaume-Uni sur son adhésion à l’Union européenne. […] Dans un récent sondage, 81% des lecteurs du Basildon Evening Echo déclaraient qu’ils voteraient pour quitter l’Europe et 15% pour y rester », écrit CJ Clarke dans Magic Party Place, récemment publié chez Kehrer Verlag.
Depuis sa création dans les années 1950, ère d’une utopie extra-urbaine où les classes moyennes déménageaient dans des pôles d’opportunités conçus de toute pièce, la ville de Basildon (Angleterre) est décrite par les médias comme la ville moyenne. À chaque tournant politique, les candidats se tournent vers ce citoyen type pour évaluer leurs chances de victoire, dont le verdict est toujours juste.
Vu à travers les photographies de CJ Clarke, pourtant, Basildon semble figée dans un temps d’après-gloire, où quelques cinquantenaires s’enlacent sur une piste de danse désertée dans un éclat de rire vain, les jeunes fument leur ennui, les faits divers ponctuent la vie locale au rythme des lunes et les feux de signalisations ne semblent alterner que pour combler les minutes. C’est loin de ce que l’on imagine de l’effervescence britannique, plus loin encore d’un lieu que le photographe a décidé de portraiturer sous le nom de « Magic Party Place ».
CJ Clarke s’explique : « Le titre est inspiré d’un néon qui brillait, jaune dans l’obscurité, alors que je marchais dans la ville déserte – un signe proclamant la vie et l’activité alors qu’il n’y en avait pas la moindre trace. Ça m’a semblé être un titre pertinent pour ce projet, pour un lieu où nous nous sommes renfermés sur nous-mêmes, dans nos maisons, entre petits groupes de famille ou d’amis – des petits rassemblements qui ne sont désormais plus unis par une identité civique, explique CJ Clarke. La société est plus fragmentée aujourd’hui. C’est la ligne rouge du XXIe siècle et c’est un phénomène qui s’est définitivement accentué. »
CJ Clarke explore sa ville natale
Né à Basildon, CJ Clarke n’imaginait pas y retourner. Mais ses intérêts pour la photographie et le journalisme l’ont naturellement poussé au-delà des illusions déchues de cette ville. « Les gens pensaient qu’il y avait quelque chose à briguer à Basildon, qu’ils pourraient faire plus, mieux et plus vite. C’était un morceau des États-Unis dans l’Essex.» Des interviews des premiers arrivants parsèment le livre. « Je voulais transmettre le sentiment de fierté des personnes qui ont déménagé de Londres vers cette ville nouvelle entre 1940 et 1950. Au contraire, la jeune génération éprouve un sentiment de rejet et manque d’identité », explique CJ Clarke, confirmant l’analyse d’A.E. Alexander en postface : « C’est une utopie des années 20-30 qui s’est avérée être fausse puisque tout est dynamique et change », écrit ce chercheur de la Cardiff Business School.
Il ajoute : « En supportant l’économie post-industrielle de la Grande-Bretagne avec des opportunités de croissance pour les nouvelles industries, les villes nouvelles ont eu pour résultat inattendu de contribuer à la transformation du pays en société ouverte et multi-ethnique. […] Alors que les débats sur l’immigration sont devenus une question politique majeure, la persistance des journalistes à répéter des questions comme, – quelle est la taille pour notre population ? – fait écho à la vision Edwardienne de la ville définie par sa taille optimale. »
Avec le regard intime du natif et le recul du documentariste sur cette communauté blanche et ouvrière, CJ Clarke explore les racines du Brexit et conclut par ces mots : « Mon intention était d’étudier l’état actuel de la nation anglaise à travers le microcosme de sa ville moyenne. Il y a une véritable rupture entre les populations qui vivent dans les métropoles ou non. Ce sont quasiment des univers parallèles. Beaucoup de villes semblent ne pas changer – pas de façon révolutionnaire au moins. Le changement se fait doucement. »
Laurence Cornet