SEACOAL

Chris KILLIP


Editeur : STEIDL
Année de parution : 2011


Près de 30 ans depuis que Chris Killip a portraituré pendant un an et demi le travail et la vie des collecteurs de charbon à Lynemouth, en partageant au quotidien leur existence.
 Ces photographies sont aujourd’hui réunies dans une exposition et une monographie co-édité par Steidl et GwinZegal. Ces images nous transportent au coeur du campement de caravanes de cette communauté à la marge de la société, montrent leurs visages, les gestes de leur travail, leur épuisement.
 Le concept du livre et de l’exposition Seacoal construit un récit détaillé à partir de la richesse du matériau de prise de vue ; la succession séquentielle aussi bien que la juxtaposition des images lui permettent de décrire toutes les facettes d’une existence précaire. En cela c’est un livre différent, beaucoup plus narratif que le célèbre essai photographique de Chris Killip In Flagrante (1988), dans lequel, à côté de nombreuses autres images du Nord de l’Angleterre, on trouve également quinze photographies extraites du projet Seacoal.
 À partir de cinquante photographies effectuées entre 1975 et 1987, Chris Killip esquissait, dans In Flagrante, le visage d’une époque marquée par la dépression économique et sociale de cette région qui a suivi le déclin et la privatisation de l’industrie lourde traditionnelle et de l’exploitation minière. Ainsi la forme narrative qu’il utilise est associative et formelle, les protagonistes des images, sans nom et sans origine, ne sont pas là pour eux-mêmes mais comme archétypes d’une variété de destins, ou, sociologiquement parlant, d’une classe donnée. Ces images ont pu être décrites comme des allégories, à la manière de personnages sur une scène de théâtre, qui seraient les allégories de destins et de passions. C’est de cela, en plus de la qualité des images, que le livre In Flagrante tire sa puissance abstraite.
 Seacoal marque le retour des protagonistes ; les quinze photographies déjà connues sont réunies dans un tableau d’ensemble dont les personnages émergent pour enfin devenir des personnes. Avec le livre de Chris Killip, c’est aussi une certaine forme de narration depuis longtemps passée de mode dans le domaine artistique qui fait son retour : la description à la manière d’un reportage presque romanesque de la réalité. Les images élégiaques de Seacoal ne revendiquent plus l’autonomie d’une page ou d’une double page, contrairement à In Flagrante ; elles sont plutôt l’objet d’une suite rythmique qui met en lumière sous toutes ses facettes une activité apparemment archaïque aux frontières du monde industriel – avec un regard insistant qui est devenu rare aujourd’hui. Dans Seacoal, la narration de Chris Killip suit une forme épique, et non plus, comme dans In Flagrante, une forme dramatique. Ses personnages portent enfin des noms, et cela n’est pas seulement lié au fait que les protagonistes de ses images, presque trente ans après, ne courent plus le danger d’être accusés d’exercer une activité illégale. Les membres de la famille Laidler peuvent désormais apparaître comme une famille, et nous faire voir que la proximité du photographe avec ses modèles s’est transformée en amitié.
 Aujourd’hui, la série Seacoal est représentative d’un chapitre de l’histoire britannique récente, mais aussi d’une certaine position photographique, qui combine une documentation à long terme avec la description de la vie quotidienne d’un groupe social. Le terme vernaculaire peut être utilisé pour signifier la spécificité d’une culture locale ; le vernaculaire en tant qu’intérêt et expression d’une position artistique semble pourtant n’avoir aucune adéquation dans un monde globalisé. C’est pourquoi aujourd’hui, eu égard à notre prétention postmoderne face à des cultures que nous comprenons à peine, une confrontation avec les images de Chris Killip semble d’autant plus profitable.
 Florian Ebner